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L’Usine Digitale : « Objets connectés : le casse-tête du made in France »

Fabriquer des objets connectés en France n’est pas si simple. En cause, le manque de réactivité et de compétitivité. Des industriels appellent à une concertation entre les acteurs de toute la chaîne de valeur sous l’égide de l’État.

Objets connectés : le casse-tête du made in France
Objets connectés : le casse-tête du made in France

Créer une filière de production des objets connectés en France. Tel est le rêve de Fleur Pellerin, la ministre de l’Économie numérique. C’est aussi tout l’enjeu du plan industriel piloté par Éric Carreel, le président de Withings, une jeune société connue pour sa balance et son tensiomètre connectés. Les perspectives alléchantes de ce marché, avec la présence d’une pléiade de start-up françaises innovantes, sont perçues comme une chance de réindustrialisation. Rien qu’en France, il s’est vendu 300 000 objets connectés en 2013 selon le cabinet GfK, et cette somme pourrait bondir à 2 millions en 2015. Mais fabriquer ces produits dans l’Hexagone n’est pas si simple. Du moins avec l’infrastructure industrielle actuelle.

LES CHIFFRES-CLES
26 milliards d’objets connectés dans le monde en 2020 selon Gartner (80 milliards selon l’Idate).
300 milliards de dollars de chiffre d’affaires généré en 2020 par les produits et services associés, selon Gartner.
1 900 milliards de dollars d’opportunités d’affaires créées dans l’économie en 2020 selon Gartner (14 600 milliards de dollars selon Cisco).

 

« Contrairement aux tablettes et smartphones, pour lesquels la valeur ajoutée du made in France est faible, les objets connectés embarquent beaucoup de design et de logiciel, deux éléments qui ont vocation à être réalisés en France« , assure Loïc Poirier, le directeur général d’Archos, premier acteur français dans les mobiles, entré récemment sur le marché des objets connectés. Selon lui, il n’est pas illusoire de relocaliser leur production. « Une économie sur les transports représente 4 à 5 % du coût total, sans compter le gain de proximité réel mais difficile à estimer, sous la forme de réduction de stocks, de fonds de roulement, des temps de cycle…« , précise-t-il.

PAS ASSEZ D’INVESTISSEMENTS

Pour répondre à la demande émergente de cette nouvelle filière, les grands sous-traitants électroniques s’organisent. « Nous cherchons à rendre possible la fabrication en France, comme nous l’avons prouvé avec la tablette QooQ, en étendant nos prestations vers la R & D, la conception, l’industrialisation et l’intégration. Nous allons jusqu’au pilotage des autres fournisseurs impliqués« , affirme Thierry Sachot, le directeur industriel et R & D d’Eolane, qui fabrique le détecteur d’incendie de Texio et la cabine de télémedecine de H4D. « Nous avons investi 2 millions d’euros dans nos lignes de fabrication de cartes électroniques pour être plus réactifs et nous aidons nos clients à reconcevoir leurs produits pour qu’ils puissent être fabriqués chez nous« , note de son côté Marc Balussaud, le PDG de BSE Electronic. Cette société réalise le détecteur de chute Vigi’Fall de Vigilio, l’alarme anti-intrusion Star-Vox de Surtec, le pilulier Medipac de Medissimo ou encore le terminal de maintien à domicile de personnes âgées Quiatil d’Intervox, filiale de Legrand.

Les volumes annoncés aujourd’hui se situent entre 10 000 et 100 000 pièces par an. Ce qui correspond parfaitement aux capacités de production en France. Mais que se passera-t-il si un produit, porté par un grand succès, atteint des millions d’unités par an ? « Pour des raisons de coûts de main-d’œuvre, nous ne sommes plus compétitifs par rapport aux Chinois« , tranche Richard Crétier, le délégué général du Syndicat national des entreprises de sous-traitance électronique (Snese). Le vieux cliché, selon lequel on fait le prototypage et les petites séries en France, puis on va en Chine pour les grands volumes, risque donc de durer. Certes, la robotisation peut réduire les coûts de main-d’œuvre. « C’est possible dans l’assemblage de cartes électroniques en utilisant des composants montés en surface et en intégrant le contrôle de production en ligne, relève Michel de Nonancourt, le président du Snese. Mais pas dans les phases d’intégration du produit ou de son emballage. L’automatisation de ces opérations passe par le développement de machines spéciales ».

Se posent alors des problèmes d’investissement, car il faut créer ces machines pour chaque produit à fabriquer. « Il n’existe pas d’incitations financières publiques fortes en faveur de la robotisation, et l’amélioration du process de fabrication n’est pas éligible au crédit impôt recherche« , se plaint Richard Crétier.

L’autre solution consiste à prendre le problème à la source, c’est-à-dire dès la conception du produit. C’est en repensant son terminal Quiatil qu’Intervox a réussi à relocaliser sa production chez BSE Electronic, au Creusot (Saône-et-Loire). « Quand le produit était réalisé en Chine, sa production nécessitait 35 minutes de travail manuel, explique Marc Balussaud, le patron de BSE Electronic. Nous avons remplacé les composants électroniques traversants par des composants montés en surface, condensé les trois cartes électroniques sur une seule et supprimé les vis d’assemblage au profit de montage par clips. Le temps du travail manuel a été ainsi réduit à 2 minutes. Le produit est même devenu 20 % moins cher ».

UN ÉCOSYSTÈME À CONSTRUIRE

La start-up Texio a choisi d’agir dès le départ sur la conception et le design pour que ses détecteurs d’incendie puissent être produits chez Eolane à Neuilly-en-Thelle (Oise). « Toute l’électronique est rassemblée sur une carte à une seule face, explique le fondateur et directeur général, Jean-Christophe Coeveot. Avec seulement deux cartes différentes, on réalise dix modèles de produit. Ceci afin de limiter les changements de séries, qui coûtent cher en production. Le temps manuel est ramené à 3 minutes, contre 5 à 6 minutes pour une conception classique« . Démarche similaire chez la start-up nantaise Qivivo. Elle développe son thermostat Qibox chez Advansee, à Nantes, fabrique les pièces plastiques chez AMGP-Saiplast, à Saint-Herblon (Loire Atlantique), et réalise l’électronique et l’intégration chez Seico à Malville (Loire Atlantique). « Pour réduire les coûts, nous remplaçons le traditionnel banc de test en bout de chaîne par un test à distance à partir de nos serveurs. On gagne ainsi en coût grâce au numérique« , détaille Adrien Suire, le PDG-fondateur.

Pour compenser le surcoût de la main-d’œuvre en France, Archos propose une autre piste. « Pour un produit connecté nécessitant une heure de travail manuel, le surcoût de production est de 17 euros par rapport à la Chine, explique Loïc Poirier. C’est trop. Il faut le ramener à 6 ou 7 euros. Soit en instaurant une taxe de 8 à 10 % sur les produits fabriqués en Chine, soit en réduisant d’autant la taxe sur les produits fabriqués en France. Mais en échange d’un beau design et d’une meilleure qualité, le consommateur accepte un surcoût de 5 à 8 % du made in France. Pas plus ».

Mais pour Fred Potter, le PDG-fondateur de Netatmo, la production d’objets connectés en France ne se heurte pas seulement à des problèmes de coût. C’est aussi une question de flexibilité industrielle et d’écosystème. « Pour notre station météo, le tube en aluminium est extrudé dans un endroit, usiné dans un autre et anodisé dans un troisième avant d’arriver dans l’atelier d’assemblage, indique-t-il. En Chine, je trouve tous ces intervenants à Shenzhen. En France, la chaîne de sous-traitance en amont est déficiente ».

Un point confirmé par Loïc Poirier, d’Archos. « Il existe en France de bons plasturgistes et travailleurs des métaux. Mais cette partie a besoin d’être redynamisée, car les objets connectés utilisent des matières très travaillées. Il faut agir sur toute la chaîne de valeur, par une concertation sous l’égide de l’État, entre donneurs d’ordres, fournisseurs de matières, assembleurs électroniques et intégrateurs, pour recréer l’écosystème nécessaire à cette filière ».

Conscients du problème, les sous-traitants électroniques tentent de s’organiser pour fédérer tous les intervenants et agir en ensembliers. « Il faut se rapprocher des autres métiers (plastique, mécanique…) pour fournir une solution globale. Tout un écosystème est à créer et à optimiser pour répondre aux besoins des start-up de réaliser rapidement des maquettes, prototypes et préséries. Il faut se rapprocher même physiquement. Les Chinois le font. Il faut s’inspirer de leur modèle« . Reste les questions de coût, de droit du travail, de réglementation, dénoncées comme facteurs de rigidité. Mais ça, c’est une autre histoire…

Ridha Loukil